Je trouve toujours intéressant de lire les erreurs des autres. J'en ai déjà fait pas mal moi-même. Lu sur le forum Boursorama (Immobilier, mais cela traite de la bourse)
La fièvre acheteuse (1er chapitre)
Au regard des nuages sombres qui s’amoncellent sur les têtes des propriétaires de biens immobiliers, je n’ai aujourd’hui plus honte de le dire : « j’ai été la victime consentante de la double curée boursière de l’an 2000 ». En effet face aux pertes qui vont être générées suite au retournement du marché immobilier, la facture de mes erreurs, qui m’avait paru autrefois si élevée, me semble aujourd’hui tout à fait acceptable. En fait, je considère maintenant cette expérience amer comme étant le prix que j’ai payé pour avoir été guéri de la maladie de la fièvre acheteuse. Sachez que le prix de la guérison s’est tout de même élevé à près de XX XXX euros ; mais plus que le prix en lui-même, c’est les nombreuses heures passées à comprendre ce qui avait bien pu se passer qui m’a servi de thérapie.
Comment suis-je devenu une victime consentante du double krach du marché action de l’an 2000 ? En fait c’est très simple. Je me suis fourvoyé dans une affaire sans en connaître tous les tenants et aboutissants. Autrement dit, à l’image de millions de suiveurs convaincus alors de décrocher la poule aux œufs d’or sans prendre de risques, je me suis engagé dans un monde qui n’était alors pas le mien : celui des marchés financiers.
Cependant à ma décharge, je dois bien avouer que chez moi le terreau était fertile. En effet, l’envi de capitaliser les fruits de mon travail afin de dynamiser le plus rapidement possible mes économies, et donc de m’élever dans la société, est profondément enraciné dans ma psyché. Ce que d’aucun appelle la réussite sociale, pour moi, vis-à-vis de mes origines modestes et des études que j’ai fait, cela constituait un leitmotiv, voire une obligation morale.
Les milieux financiers réagissent constamment à toute une série d’informations d’ordres politiques, économiques, et sociologiques, mais aussi à des logiques psychologiques. C’est la raison pour laquelle les salles de marché sont, d’une part, constamment connectés aux réseaux de diffusions d’information les plus influents tel que Reuters, Bloomberg, etc, et d’autre part, qu’elles se payent les services d’analystes en tout genre : tel que des économistes, stratèges, climatologues, etc ... Bref, étant donné le nombre de paramètres et d’aléas à prendre en considération, il est impossible pour quiconque, et quels que soient les moyens mis en œuvre, de tous les maîtriser. Mais qu’à cela ne tienne, au moment où j’ai acheté mes premiers titres, j’étais convaincu de surmonter tous les obstacles qui se dresseraient sur ma route. L’investisseur de base est avant tout un mégalo doublé d’un mythomane qui pense que plus il va cliquer des doigts et plus l’argent va tomber directement dans son panier !
D’ailleurs à écouter mes proches (à ce moment là, seuls les conseils des jeunes prévalaient, car ceux des vieux, c’est à dire ceux dont les parents se sont fait rincer dans les années 1930, n’avaient aucune valeur) il suffisait d’acheter n’importe quoi, pourvu que le nom de la valeur fasse nouvelle économie, pour faire de l’argent. Il faut bien reconnaître qu’entre 1998 et la débâcle du Nouveau Marché (le marché sur lequel était référencé les valeurs de la nouvelle économie) en mars 2000, le seul souci de l’investisseur était celui du manque à gagner entre la hausse d’un titre par rapport à un autre. Voilà ce que l’on pouvait entendre : « Mince aujourd’hui la météorite « .com » est monté plus vite que la météorite «.fr », c’est ballot ! ».
Mon frère aîné avait ouvert la brèche dans ce monde de rêve où l’on gagne à tous les coups. Il s’y est essayé et il a gagné. Cela lui a permis d’accumuler suffisamment d’argent pour s’acheter, juste avant l’an 2000, une maison à moindre frais. Enhardi par la réussite foudroyante de mon frère, lorsque je suis entré dans la vie active, en janvier 2000, j’ai ouvert un compte titre et je me suis dit : « Mes parents ont mis 20 ans pour s’acquitter de leur dette pour l’achat d’un bien immobilier. Moi, avec l’argent placé en bourse je devrai pouvoir le payer cash dans quelques semaines ! ». Et bien, à l’heure où j’écris ces lignes, soit 6 ans après, je continue à engraisser un propriétaire. Il faut tout de même dire que la bulle immobilière ne m’a pas aidé.
Après avoir ouvert mon compte titre et placé toutes mes économies dessus, soit environ 3 000 euros, j’ai commencé à boursicoter. Les premiers succès ne se sont pas fait attendre. Si bien d’ailleurs, que je parvenais parfois à gagner en une journée l’équivalent de mon salaire mensuel ! De boursicoteur du dimanche lisant « La Vie Financière », je suis devenu en deux temps trois mouvements un spieler bas de gamme accroc à Boursorama. Bref, contaminé par la fièvre acheteuse, j’étais devenu complètement fou. J’achetais, je vendais, j’achetais, je vendais. Je multipliais les allers / retours. C’était grisant. Le soir, dans le métro après une bonne journée, j’avais de la peine à contenir ma joie. Je me disais : « ça y est t’es passé dans le camp des gagnants ! ». Je jubilais mais je n’étais pas très lucide sur la situation qui était en train de se dessiner.
Outre le fait que je baissais de plus en plus ma garde, d’un autre côté j’exprimai régulièrement le regret de ne pas disposer suffisamment d’argent. Je me disais : « si les sommes joués étaient plus importantes, je pourrais engranger davantage ». Tel un joueur happé par l’appât du gain je continuais tous les mois à verser la partie excédentaire de mon salaire sur le compte titre. Comme si cela ne suffisait pas, malgré ses réticences, j’étais parvenu à convaincre ma compagne à faire de même. On m’avait bien prévenu de jouer en bourse seulement l’argent dont on n’avait pas besoin à court ou moyen terme. Mais ce conseil, comme les autres du reste, glissa rapidement dans mon esprit dans la case « à mettre aux oubliettes ».
Un malheur ne venant jamais seul, j’appris l’existence du système du règlement mensuel (aujourd’hui rebaptisé le SRD). Ce système de prêt / emprunt permet d’investir jusqu’à cinq fois la valeur du portefeuille. Concrètement, cela permet d’acheter des titres à crédit. En contrepartie, à la fin de chaque mois il fallait d’une part payer les intérêts du prêt / emprunt et d’autre part, si la position n’était pas soldée, être en mesure de payer des « appels de marge » (c’est à dire combler la différence entre le prix d’achat et le prix constaté à la fin du mois ; si cette différence est positive, l’investisseur reçoit de l’argent, et dans le contraire il doit mettre la main au portefeuille).
Nul besoin de vous dire que cet effet de levier fut le début de ma ruine lorsque les bulles explosèrent. D’ailleurs avec du recul je me dis qu’heureusement que les marchés corrigèrent rapidement après mon arrivée, sinon je crois bien que j’aurais été incapable de régler la facture finale. A une époque pas si lointaine, on mettait les gens en prison pour dettes non remboursées. Et bien je pense que si j’avais vécu à cette époque, j’aurai frôlé le statut de délinquant économique. Parallèlement, en engageant ma compagne dans mes rêves de grandeur, c’était la stabilité de mon couple qui était en jeu. Mais n’allons pas trop vite et revenons au début.
Après la période fastueuse, ce fut celui des vaches maigres. Les marchés actions se retournèrent en deux temps au cours de l’année 2000 : une fois en mars sur les valeurs internet et une autre fois sur les TMT en septembre. Aujourd’hui, la mémoire collective à amalgamer ces deux évènements bien distinct sous le terme générique et peu approprié de « dégonflement de la bulle internet ». Mais il s’est bien produit deux chocs. Commençons par nous pencher sur le krach des valeurs internet à travers l’évolution des cours de clôture du nouveau marché.
Entre le 1er octobre 1999 et le 10 mars 2000, la valorisation de ce marché fut multiplié par plus de 5 ! L’indice du nouveau marché est passé de 1451,70 points à 7481,18 points en à peine 112 séances ! Ca faisait tout de même une progression quotidienne de 4,60 %. Pour ceux qui ne comprennent pas bien je vais prendre un exemple. Imaginez que si vous avez placé l’argent de votre livret A sur ce marché cela vous aurez rapporté quotidiennement 4,60% pendant 112 jours consécutifs. Nous étions dans « l’exubérance irrationnelle » dénoncée par Allan Greenspan (président de la Fed de 1987 à 2006).
Et puis le lundi 13 mars 2000, vers 15 h 30, c’est à dire au moment de l’ouverture des marchés à New York, le Nouveau Marché était à son zénith à 7 867,12 points lorsque fut donné le coup d’envoi de la curée. Le jour même l’indice clôtura à 7 076.71 points. Il venait de perdre plus de 11 % en deux heures (à cet époque le marché clôturait à 17 h 30). Le 14 mars fut une journée stable. Les investisseurs venaient d’être molestés mais ils n’étaient pas encore choqués. Le 15 mars, le marché clôtura à 6 347.32 points et le 16 à 6 022.86. En à peine quatre jours le Nouveau Marché avait perdu près de 30 %. Deux mois plus tard, il avait corrigé de plus de 50 %.
A cette époque, le NASDAQ était considéré alors comme le baromètre de la bourse américaine. Pour des raisons de coût, c’est le marché sur lequel les valeurs de la net économie venait se vendre. Avec l’arrivée d’internet dans les foyers, tout le monde s’était convaincu que nous étions entré dans une nouvelle ère économique qui balayeraient les fondements de l’ancienne pour la simple et bonne raison que les modes de vie des consommateurs seraient profondément chamboulés. Comme les Etats-Unis étaient alors de très loin la première puissance économique mondiale et que la net économie était très en avance par rapport à celle de l’Europe, tous les investisseurs avaient les yeux rivés sur le NASDAQ. Cela leur permettait de déterminer les tendances générales du marché. Du coup si on se penche sur le graphique ci-dessous comparant l’évolution des cours du NASDAQ à ceux du Nouveau Marché, on s’aperçoit que les mouvements des cours étaient beaucoup plus amplifiés en France qu’aux Etats-Unis. Cela résulte sans doute du fait que les volumes des transactions sur le NASDAQ étaient sans commune mesure par rapport au Nouveau Marché.
Qu’est ce qui a donc pu se passer aux Etats-Unis au cours du week-end du 11 et 12 mars 2000 pour que l’opinion alors majoritaire se retourne ? Pourquoi y a t-il eu un retrait massif et simultanée des investisseurs américains lors de la séance du 13 mars ? Quel a été le détonateur ? Pour répondre à ces questions, je pense qu’il faut à la fois se pencher sur le profil de l’investisseur américain, sur le mécanisme de formation des prix à la bourse, et sur la psychologie de marché.
Le développement d’internet avait permis de « démocratiser » les marchés. Désormais, tout le monde pouvait piloter son compte titre à partir de son ordinateur. Ce phénomène à contribuer à générer un afflux massif de capitaux sur les marchés financiers, d’autant plus que les américains n’hésitaient pas à s’endetter. Avant le krach, près d’un américain sur deux possédait un compte titre. Comme dans la majeure partie des pays riches, le citoyen américain est soumis à l’impôt sur le revenu. Comme les revenus des investisseurs s’étaient très rapidement accrus en 1999, par voie de conséquence, le premier tiers des impôts à acquitter le 15 avril 2000 devaient être plus élevés qu’à l’accoutumée. Il se peut qu’afin de financer leur impôts, beaucoup d’investisseurs aient vendu des titres quelques semaines avant la date butoir. Est ce que les américains ont reçu leurs feuilles d’impôt au cours du week-end ? Je ne saurais l’affirmer.
Théoriquement, on explique généralement les krachs par le fait que le marché était largement surévalué en raison des spéculateurs qui ont perdu le sens des réalités. Dans cette logique, les prix d’un marché ne sont que la représentation d’un équilibre entre partisans d’une future hausse, les acheteurs, et les partisans d’une future baisse, les vendeurs. De ce fait, quelles que soient les motivations au moment même où une transaction est conclue, tout le monde a trouvé son intérêt en pensant que le prix est le « bon prix ». De ce fait, je ne vois pas pourquoi, subitement, de nombreux investisseurs ont estimé que les prix étaient farfelus d’autant plus que les volumes d’échanges étaient encore très élevés.
Toujours dans la même logique, la question de savoir si un marché est sous-évalué ou surévalué n’est donc pas la question centrale. La seule est unique question à se poser est de savoir quelle est l’opinion de la majorité des investisseurs au moment où l’on achète un titre. Sur un marché, seule l’opinion générale compte. En effet, si vous achetez un titre considéré comme sous-évalué, dans le fonds vous avez raison, mais si personne n’en veut, vous ne serez pas plus avancé dans votre projet. En revanche, si vous achetez un titre surévalué qui a bonne presse, alors vos chances de faire une plus-value seront augmentées.
Cependant dans la pratique, de nombreux investisseurs achetaient des titres sans même s’intéresser à sa situation économique. Ils achetaient des titres internet parce que c’était la mode d’acheter des titres internet. La valeur des titres dépendit donc de l’engouement du public. Cette effet de mode provoqua une fièvre acheteuse qui peu à peu déboucha sur une crainte des investisseurs d’acheter des titres le lendemain à des prix supérieurs à ceux d’aujourd’hui ; si bien qu’à force de monter, les prix atteignirent un niveau sans rapport avec les logiques habituellement utilisées pour la valorisation des actifs. Cette décorrélation entre les prix et les fondamentaux économique fut à l’origine de la bulle internet, et la peur des investisseurs « de ne pas en être », l’alimenta. En temps normal, les prix d’un marché reflètent seulement les probabilités d’évènements futurs. Autrement dit, les marchés financiers sont des marchés d’anticipation ; mais dès lors que l’on sort de cette logique, les modèles classiques deviennent inappropriés.
Les marchés financiers sont très sensibles aux informations. Cela va de la simple rumeur à l’information la plus sérieuse. La diffusion de l’information est le nerf de la guerre, mais il faut savoir qu’il existe une hiérarchisation des informations. J’ai d’ailleurs souvent entendu cette expression : « on achète la rumeur et l’on vend la nouvelle ». Cette expression signifie que l’investisseur doit être un opportuniste ; et comme le dit la chanson, il doit être capable de retourner sa veste toujours du bon côté.
Il ne faut négliger aucune informations. Qu’elles soient de nature politique ou économique, elles impactent directement l’ensemble des cotations. Toutefois, on peut noter différentes vitesses de diffusion de l’information. Les rumeurs et les bruits de couloirs sont les informations qui se déplacent le plus rapidement. Elles apparaissent avant même la diffusion officielle de l’information ! Vous ne pouvez pas imaginer leur puissance et leur ampleur. D’ailleurs, certaines d’entre elles peuvent avoir des conséquences inouïes. Les historiens spécialisés sur la Révolution Française affirme que la Grande Peur s’est progressivement répandue sur le territoire nationale, au cours de la deuxième quinzaine du mois de juillet 1789, suite à la diffusion de la rumeur que les Aristocrates payaient des brigands et des étrangers pour dissoudre l’Assemblée et exercer d’impitoyables représailles. La situation insurrectionnelle qui découla de cette Grande Peur décida certains député à dissoudre les droits féodaux lors de la nuit du 4 août.
Les informations d’ordres politiques viennent après la rumeur. Plus elles touchent les intérêts des pays riches et plus elles auront d’impacts sur les niveaux des cours. Par exemple, le génocide au Rwanda fut complètement ignoré de la communauté financière dans la mesure où le poids du Rwanda dans l’économie mondiale est quasi nul. En revanche, lorsque les avions s’écrasèrent sur les tours du World Trade Center, le 11 septembre 2001, la bourse dévissa directement. Les informations à caractères économiques sont relayés de manières plus lentes. Là aussi il faut les hiérarchiser. Le Tsunami dans le golfe du Bengale en décembre 2004 ne provoqua aucun remous sur les marchés financiers, alors que la moindre phrase prononcé par le président de la FED peut avoir de lourdes conséquences. De plus les informations économiques d’ordre générales seront privilégiées aux informations spécifiques à chaque valeur. Lorsque le chiffre de la croissance économique des Etats Unis est très en dessous du consensus, je puis vous dire que l’ensemble des services d’une salle de marché sont en ébullition ; par contre, l’annonce de bons résultats par une entreprise sera traitée de manière plus discrète.
En fait, une entreprise qui vient de réaliser de bons résultat ne sera pas forcément mieux considérer dans la mesure où le marché anticipe déjà ses résultats futurs en fonction des perspectives d’évolution de son secteur. Autrement dit, vous pouvez publier de bons résultats et être sanctionné si les perspectives d’avenir sont mauvaises. Au regards des fondements classiques de l’économie, les valeurs internet étaient totalement surévalués. Mais comme dans l’imaginaire de la majeure partie des investisseurs les perspectives d’avenir étaient extraordinaires, ils n’étaient pas choqués d’acheter des titres d’une société à peine viable à un prix très élevé puisqu’ils pensaient que la valeur intrinsèque était largement sous-évaluée.
Revenons maintenant quelques heures avant le crash. Seules quelques cassandres prédisait la catastrophe, car d’une manière générale, c’était l’euphorie générale. Une semaine après le krach, l’ambiance n’était déjà plus la même. Pour illustrer mon propos je vais prendre l’exemple de deux valeurs dont j’ai été furtivement actionnaire: Multimania et Liberty Surf, car les réactions au comportement boursier de ces deux titres sont assez révélateurs de l’état d’esprit ambiant avant et juste après le krach.
Multimania était un site internet vivotant de la publicité et de l’e-commerce. Son chiffre d’affaire pour l’année 1999 était à peine de 9,1 millions de francs (soit un peu moins de 1.39 millions d’euros). La valeur fut introduite sur le Nouveau Marché le 10 mars 2000 à 36 euros ce qui valorisait tout de même cette société à 278 millions d’euros, soit plus de 200 fois le chiffre d’affaire ! Mais bon les promesses affichaient par cette société déficitaire étaient telles, que ça ne semblait pas être un problème. Le jour de l’introduction, donc le 10 mars 2000, le titre s’est échangé jusqu’à 125 euros avant de clôturer à 103 ! En une journée le titre venait de progresser de 286 %. Cette petite affaire soumise à une rude concurrence valait désormais 793 millions d’euros, soit 575 fois son chiffre d’affaire. C’était du délire.
Liberty Surf était un fournisseur d’accès à internet qui fut intégré le 16 mars 2000 au Premier Marché, malgré l’absence de deux ans de bilan, à 41 euros. Bien qu’à l’issue de la première journée le titre avait pris 29.63%, il commença à se trouver quelques commentateurs pour faire la fine bouche. L’article paru le 17 mars 2000 sur le net dans actu-finance montre bien l’évolution de l’état d’esprit : « L’introduction de Liberty Surf (…) s’apparente à l’histoire de la bouteille à moitié pleine ou à moitié vide. (…). On peut estimer que le succès n’a pas été vraiment fracassant contrairement à ce que les échos sur le marché gris laissaient entendre ».
La subite correction intervenue sur les valeurs de la nouvelle économie venait brusquement de calmer les ardeurs des acheteurs. On entra pendant quelques semaines dans une période pouvant être comparé à celui d’une fin de soirée. Pour ma part j’avais été quelques peu chahuté par la chute brutale des cours, mais par rapport à la somme initiale investie j’étais encore largement bénéficiaire. Néanmoins cet épisode me poussa à modifier mon comportement. Ainsi, je mis un terme à ma courte expérience de day-trader pilotant son compte titre à tombeau ouvert pour me consacrer à l’achat de titres ciblés. Je troqua donc mon costume d’acheteur fou contre celui d’investisseur responsable.
Bien que nous ayons eu manifestement à faire à un krach, on pouvait lire, ici où là, dans la presse qui s’y entend en finance que le marché référençant les valeurs de la nouvelle économie était en train de vivre « une correction salutaire». Bien que je ne lisais pas du tout la presse économique avant cette « correction salutaire », subitement, par je ne sais quel nécessité, je me suis mis à la dévorer. Je me souviens avoir lu une démonstration digne des meilleurs sophistes grecs prouvant que « la hausse était loin d’être finie ». Ces propos me rendait confiant sur les perspectives d’avenir.
Même si de nombreux professionnels se sont fait berner, généralement comme la dissymétrie de diffusion et de compréhension de d’information entre l’investisseur qualifié et l’investisseur de base est tellement importante, les premiers ont mis les voiles depuis longtemps avant que les seconds réagissent. La réaction des seconds a été d’autant plus lente que des informations contradictoires circulaient. En effet, les médias, qui du reste ne sont pas payés pour être clairvoyant, ont continué à relayer le mythe des petits malins devenus millionnaires du jour au lendemain. Des sociétés de conseils continuaient à émettre des bulletins recommandant l’achat de titres avec des objectifs de prix exubérant.
En fait avec du recul je me suis aperçu que j’étais réceptif aux seules informations qui me confortait dans l’idée que la fête n’était pas finie. Par contre, les informations relatives au fait que les sociétés de la nouvelle économie étaient rattrapées par les fondamentaux de l’économie régissant l’ancienne me laissait indifférent. Il fallait vraiment être volontaire au suicide !
En finance, le terme même de « correction salutaire » est un message codé signifiant : « prends tes billes et vas voir ailleurs ce qui se passe ». Mais fallait-il encore pouvoir le décrypter. Le terme de « correction salutaire » a d’ailleurs une connotation religieuse. On dit bien que les chrétiens sont motivés à se plier au dogme de la religion pour le « salut » de leur âme, c’est à dire pour se réserver une place au paradis. Dans ce sens, la « correction salutaire » constitue donc la voie sacrée pour atteindre le Graal. Et à y réfléchir de plus près, alors que je suis athée, c’est bien comme ça que j’ai entendu cette expression. C’est en de pareil occasion que ‘on se rend compte qu’il est difficile de s’émanciper de la puissance sous-jacente de la culture chrétienne au sein de notre société !
Et pourtant, nul ne peut dire qu’il n’était pas au courant par ce qui se tramait. Allan Greenspan avait prévenu tout son monde dès le 9 décembre 1996 dans un discours qui depuis, a établi sa légende de « visionnaires ». Bien que de nombreux signes étaient patents, la quasi totalité des investisseurs, professionnels inclus, ont refusé d’accepter « l’exubérance irrationnelle », c’est à dire l’existence d’une bulle spéculative sur les marchés actions. Et pour cause, il est difficile d’annoncer aux invités hilares que la fête est finie. D’ailleurs, il existe toujours un temps de latence entre l’annonce de la suspension de la fête et le départ des invités, d’autant plus que les invités ne partent pas tous à la même vitesse. Ce temps de latence a permis de préparer l’after. En effet, histoire de ne pas partir se coucher comme ça, il s’est produit vers le mois de mai un transfert de liquidité entre les valeurs de l’internet vers les TMT (valeurs Technologiques, Multimédias et télécommunications).
De mon côté, j’étais si bien réconforté par mes lecture quotidienne que j’étais alors tout à fait convaincu que tout irait le mieux dans le meilleur des mondes. Il se passa malgré tout quelques semaines avant que je me repositionne sur les marchés. Du coup, je rata le début du mouvement final sur les TMT. Je fis bien quelques coups à partir du mois de juillet, mais, je parvenais à peine à grappiller quelques pourcent par ci, quelques pourcent par là. Mais en fait, c’était beaucoup moins brillant « qu’avant » car les sommes investies étaient beaucoup trop faibles.
A la fin du mois d’août 2000, j’arriva enfin à vaincre mes réticences sur les conséquences de l’utilisation de l’effet de levier. En fait, au cours des semaines précédentes, je ne cessais de me lamenter sur les coups que je ne pouvais pas faire à cause de ma faible trésorerie. Je ne cessais de me répéter : « regarde, si tu possédais tant, maintenant tu aurais tant et avec ça tu pourrais faire ça qui te rapporterait tant ». Bref, si la bourse est le temple des regrets, et bien moi j’en étais le premier à en souffrir. Du coup au lieu de faire preuve de prudence et de modération, j’ai non seulement décidé de défier le fameux dicton relatif aux œufs dans le panier, et en plus de jouer avec de l’argent que je n’avais pas. Je plaça donc l’ensemble de ma trésorerie avec effet de levier sur les TMT.
Pourtant avant de me lancer dans ce nouveau round, j’étais pleinement convaincu par la qualité du raisonnement qui devait me conduire vers les sommets. Au mois de juin 2000, j’eu le bonheur de lire l’excellent ouvrage de William H. Prescott « Aztèques et Incas, grandeur et décadence de deux empires fabuleux ». En fait, outre la description des deux cultures pré-colombiennes, l’auteur raconte comment une poignée d’aventuriers, essentiellement mû par la soif de l’or, ont renversé les empires mexicains et péruviens au début du XVIème siècle. A la lecture de cet ouvrage, j’avais été étonné d’apprendre d’une part que, malgré la quantité extraordinaire de richesses accumulées par la rapine, la majeure partie des conquistadores étaient morts dans le besoin, et d’autre part, que les principaux bénéficiaires de ces flux de richesses furent les intermédiaires de l’expédition, c’est à dire ceux qui avaient prix le moins de risques comme les équipementiers en tout genre. Ce qui s’est passé au XVIème siècle est récurrent dans l’histoire car les équipementiers sont toujours les seuls et uniques vainqueurs des guerres et des effets de mode en tout genre, comme la Ruée vers l’or en Californie en 1849.
En transposant ce qui c’était passé au XVIème siècle, au monde de la nouvelle économie alors supposée être en guerre contre l’ancienne, je me suis dit que les grands gagnants seraient les fournisseurs des supports véhiculant les nouvelles technologies, autrement dit les sociétés placées sous le sigle des TMT. Je pense que mon raisonnement était correct. Mais là où je me suis fourvoyé, c’est que beaucoup d’autres l’avaient fait avant moi. Les TMT étaient déjà les stars de la cote. A la fin du printemps 2000, Tout le monde ne jurait plus que par les TMT !
Attirés par l’espérance de gains présumés faciles et par un comportement mimétique, ceux qui, par opposition aux institutionnels, sont désignés par le terme de « particuliers», ont contribué à une augmentation spectaculaire du nombre d’ouverture de comptes. Je me souviens qu’au cours de l’hiver et du printemps de l’année 2000, au moins une nouvelle société de bourse par internet se montait par semaine. En avril 2000, nous étions plus de 160000 cyber-boursiers. Au cours des semaines qui ont suivi, nous étions toujours plus nombreux. En ayant participé à la ruée finale sur la nouvelle économie du mois de mars, je faisais presque figure de vétérans vis-à-vis des très nombreux bizuths. Ainsi, les nouveaux investisseurs infectés par la maladie de la fièvre acheteuse venaient volontairement se porter candidat pour le suicide collectif.
Lorsque les particuliers sont arrivés en masse sur le marché et bien que la sirène d’alerte sur le Nouveau Marché venait de se déclencher, ils ont continué à acheter avec frénésie des TMT déjà très largement surestimées. Mécaniquement les cours de ces valeurs cotant sur les indices phares de la bourse de Paris (CAC 40, SBF 120 et 250) ont donc continué à monter en entraînant avec elles toute la cote. Ce phénomène de masse a permis de maintenir l’illusion quelques temps d’une hausse sans fin. Cette fuite en avant fut le prélude au deuxième krach de l’an 2000. Et comme le premier, je n’y ai vu que du feu.
Voyons maintenant le krach de septembre 2000.
Ce que la majeure partie des particuliers ignorent, c’est qu’ils arrivent toujours en dernier sur un marché porteur. Autrement dit, au moment où ils arrivent, c’est justement le moment où il faut partir. Mal informé et enfermé dans leurs illusions, ils assistent au jeu de la patate chaude, sans même s’en rendre compte jusqu’au dénouement final. Et oui, en bourse, dans les périodes de crise, les derniers arrivés sont toujours les premiers à déguster. Ce phénomène contribue à véhiculer l’idée qu’ils sont toujours les dindons de la farce.
jeudi, octobre 12, 2006
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